En enquêtant sur le web j’ai trouvé un post qui va vous séduire. Sa thématique est « la justice ».
Son titre (« Les magistrats sont des hommes, avec leurs faiblesses », selon le célèbre chroniqueur judiciaire Dominique Verdeilhan) en dit long.
Vous pouvez lire ces infos en toute tranquillité.
L’éditorial a été diffusé à une date indiquée 2023-02-04 07:54:00.
Dominique Verdeilhan, 67 ans, a chroniqué durant plus de trois décennies l’actualité judiciaire et les procès pour France Télévisions. Il anime depuis octobre dernier l’émission « Justice en France » sur France 3, la première à présenter des tournages d’audiences ordinaires.
Vous évoquez d’abord dans ce livre la violence des dossiers judiciaires. Pourquoi?
J’ai fait ce métier pendant 33 ans. Les premières années, on avait surtout des dossiers qui ressemblaient à des polars, sans charge émotionnelle particulière. Puis sont arrivées les affaires de viols, de pédophilie et là, on a basculé dans un autre monde. Des journalistes ont arrêté en disant qu’ils n’en pouvaient plus des histoires comme celles de « Pierrot le fou » (Pierre Bodein, auteur de trois meurtres de femmes en 2004) ou Marc Dutroux (auteur d’assassinats et viols sur mineures en Belgique dans les années 1990)… Je raconte d’ailleurs à la fin du livre que j’ai visité la cache de Marc Dutroux, l’endroit où il séquestrait ses victimes. À chaque fois que j’en parle, j’ai la chair de poule. C’est au-delà de l’imaginable.
Les magistrats rencontrés ont-ils facilement accepté de parler de la mort et de ce type d’affaires?
Ils l’ont évoqué spontanément, chaque fois que j’allais les voir. Ils racontaient leur premier cadavre, leur premier contact avec la mort. Une chose est souvent revenue: à l’École nationale de la magistrature, ils n’étaient pas pré
parés à cela, à ce qu’on vit directement sur le terrain, au drame et à la noirceur. Ils évoquent aussi le phénomène d’identification lorsque, voyant le corps d’une victime, ils se disaient qu’elle aurait pu être leur enfant, alors qu’il leur faut absolument rester magistrat, exercer leur office dans la retenue et l’équité.
Vous évoquez des cas de dégoût, des changements de fonction…
La juge Anne Desvignes a été confrontée à l’affaire Fourniret (tueur en série condamné en 2008 pour sept meurtres de jeunes filles) qu’elle a instruite à Charleville-Mézières. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas pu continuer et qu’elle était passée à une autre fonction. D’une manière générale, une chose m’a frappé: ce sont les juges des enfants et aux affaires familiales qui m’ont dit le plus souvent ne pas avoir pu continuer. Ils n’étaient pas confrontés à la mort et au sang, mais à des choix difficiles, comme celui de devoir séparer un enfant de ses parents, etc. Cette violence psychologique pour la profession a été longtemps ignorée.
Les magistrats interrogés abordent-ils le tabou de l’erreur judiciaire?
Plusieurs en parlent, en effet, et racontent même s’être trompés. Ce qui revient aussi de façon très régulière, c’est la solitude. Le magistrat ne peut parler de ses émotions à son conjoint, car il ne veut pas l’embêter avec des horreurs, et il ne peut pas non plus en parler à son chef de juridiction. Dans l’exercice de sa charge, il lui faut prendre une décision, mettre en examen voire en détention, et cela, il le fait souvent seul. Il y a aussi quelquefois le poids de s’être trompé. Une magistrate m’a ainsi dit s’être reprochée de n’avoir pas mis en cause, faute d’éléments, les parents de deux enfants morts ébouillantés dans une baignoire.
Sur la thématique de l’erreur, reviennent souvent les affaires d’abus sexuels…
Il y a en effet beaucoup d’histoires de ce type, dans lesquelles il est souvent difficile de faire la part des choses. Des dossiers bâtis sur des accusations portées à tort produisent parfois des erreurs. J’avais cru que les magistrats m’enverraient sur les roses sur ce point, mais, en réalité, certains avaient même pré
paré une petite liste avant de me voir pour n’oublier aucun de ces cas. C’est quelque chose qu’on n’évoquait pas trop jusqu’ici, qui était tabou. Aujourd’hui, c’est un peu plus facile.
Souvent, les magistrats ont évoqué des épisodes de morts ou de suicides en détention. Ces événements ont-ils changé la donne pour eux?
On en revient au poids de l’erreur, à ce problème de solitude. Ils s’interrogent souvent, quand survient un tel événement. Ils se demandent ensuite pendant toute leur carrière: « Est-ce que j’ai eu raison d’ordonner le placement en détention? » Cela crée un poids, avec le sentiment d’une responsabilité non pas forcément disciplinaire mais morale. De nos jours, le juge d’instruction est soulagé de ne plus être celui qui ordonne le placement en détention provisoire (depuis 2000 cette tâche incombe à un autre magistrat, le juge des libertés).
Certaines confessions sont émouvantes, comme celle du procureur du dossier Fourniret…
Oui, Francis Nachbar, procureur de Charleville, était présent lors des fouilles pour retrouver les corps des filles violentées et tuées. Il n’a pas oublié son face-à-face avec Michel Fourniret qui lui a dit quand un cadavre a été sorti: « Voyez, ça pourrait être votre fille… ». Quand je l’ai rencontré, cet épisode lui pesait toujours mais il avait surtout une interrogation. « Étais-je le bon magistrat pour requérir contre Fourniret au procès? » Il pense aujourd’hui que non, et regrette certaines formules de son réquisitoire, comme l’emploi à propos de Fourniret des termes « à gerber », « clown » ou « grosse araignée gluante »… Il s’est dit après coup qu’il n’était pas dans le meilleur état d’esprit pour requérir ce jour-là.
Il y a aussi le cas d’un juge de l’affaire Chirac, dont la main a tremblé…
La main d’Alain Philbeaux (qui a auditionné Jacques Chirac en 2007 une première fois pour une affaire d’emplois fictifs à la mairie de Paris) a tremblé, oui probablement… Mais j’ai perçu son récit comme amusé. Il avait pris contact avec Jean Veil, avocat de Jacques Chirac, pour voir dans quelles conditions la rencontre pouvait se faire, pour qu’elle soit le moins médiatisée possible. Elle a été organisée dans le bureau de Chirac, transformé pour l‘occasion en cabinet de juge d’instruction, et l’ex-président a été placé sous le statut de témoin assisté. Puis, le juge raconte qu’il s’est retrouvé à discuter avec lui de choses et d’autres, de manière ordinaire. Il s’est laissé impressionner, sans doute… Il y a l’exemple de ce magistrat mais, a contrario, j’ai aussi celui de Renaud van Ruymbeke, qui dit que quelle que soit la personne en face de lui, il a toujours exercé son métier sans émotion.
Avez-vous de l’estime pour les magistrats?
Évidemment. J’ai vu des magistrats pour la plupart au-dessus de tout soupçon. Même si ça n’a pas été volontaire, j’ai contribué à les humaniser un peu, je crois. On découvre sous la carapace de la robe que ce sont des hommes, avec leurs faiblesses, et ça permet de mieux comprendre comment ils fonctionnent, comment ils travaillent. Voir dans quelles conditions ils gèrent les dossiers amène à comprendre les dysfonctionnements, les retards. On s’aperçoit que le magistrat est certes le maillon principal de la chaîne, mais que c’est toute la chaîne qui peut être problématique, pas forcément ce maillon.
– À lire: Les magistrats sur le divan, de Dominique Verdeilhan, éditions du Rocher, 377 pages, 20,90 euros.