Voilà qui va vous intéresser : Un nouvel encart que notre équipe vient de relever sur le web et que nous vous produisons ci-dessous. Le sujet est « la justice ».
Son titre (Quand le ministère de la Justice ne paye pas ses collaborateurs) est évocateur.
Présenté sous le nom «d’anonymat
», l’écrivain est connu et fiable pour plusieurs autres posts qu’il a publiés sur le web.
Les informations divulguées sont donc jugées crédibles.
Ils sont un peu plus de 7 500 à travers la France et jouent un rôle crucial lors des procès. Ils rencontrent aujourd’hui d’énormes difficultés pour se faire payer par les juridictions qui les emploient. Ces hommes et ces femmes qui assistent les parties civiles mais aussi les mis en examen non francophones, pour qu’ils puissent comprendre la procédure qui se déroule devant eux, n’ont perçu, pour certains d’entre eux, aucune rémunération depuis le mois de… janvier !
Combien sont-ils dans ce cas ? Contacté, le cabinet du garde des Sceaux ne communique aucun chiffre précis, mais reconnaît néanmoins « des difficultés RH ponctuelles dans les services en charge des paiements qui peuvent générer des délais ». La direction des services judiciaires avance par ailleurs que « plusieurs [autres] facteurs peuvent expliquer des délais variables d’une juridiction à une autre : un rythme de dépôt des mémoires irrégulier par les traducteurs-interprètes ou déposés tardivement en fin de gestion et des dossiers incomplets qui peuvent générer un premier rejet du dossier ».
Il n’empêche… Une centaine d’interprètes, lassés d’attendre un virement du ministère, s’activent ces jours-ci pour raccourcir les délais de paiement. Ils ont saisi leurs députés, pour que le garde des Sceaux soit interrogé sur ce point lors des questions au gouvernement du 29 mars. « Jusque-là, chaque fois qu’on a écrit à la chancellerie, personne ne nous a répondu, même lorsque c’était avec accusé-réception », relève l’un de ces interprètes sous le couvert de l’anonymat.
À LIRE AUSSILes traducteurs et interprètes appellent à l’aide dans toutes les languesC’est en Île-de-France, où se concentrent l’essentiel des interventions de ces interprètes, que la situation est particulièrement critique. Antoine Téchenet, 48 ans, évoque ainsi un retard de paiement de plus de 15 000 euros depuis trois mois car toutes les prestations qu’il a effectuées l’an dernier ne lui ont pas été payées non plus. « Si j’avais un loyer à payer, je serais mal. Heureusement, je suis propriétaire et j’avais un peu d’argent de côté. Mais je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir si on ne me règle pas rapidement », confie-t-il.
Farah*, 49 ans, attend le règlement de plus de 7 000 euros sur la même période. Elle est d’autant plus impatiente de recevoir cet argent qu’elle élève seule un enfant. « J’ai du retard dans le paiement de mon loyer et personne ne peut me dire quand la situation va être régularisée », se désole-t-elle. Même son de cloche chez May*, la cinquantaine, qui note que l’administration de la justice a toujours été mauvaise payeuse. « Depuis que je travaille dans ce secteur, et cela remonte aux années 1990, j’ai pris l’habitude que les tribunaux cessent de me payer en novembre quand les budgets sont épuisés. Cela a ensuite été en août, mais c’est la première fois que les paiements sont gelés en début d’année », constate-t-elle, avec résignation.
Le ministère de la Justice affirme avoir consacré un budget de 66,6 millions d’euros à l’interprétariat en 2022, « une enveloppe qui a doublé en six ans », souligne son porte-parole. Lequel assure que « [s]es services administratifs sont attentifs aux problèmes financiers que pourraient rencontrer ces collaborateurs du service public » et les encourage à « se rapprocher de ces services pour signaler toute difficulté ». Mais les interprètes qui ont tenté de contacter les régies des tribunaux expliquent s’être fait éconduire.
Une situation désespérante
« La situation est assez désespérante quand on pense que c’est l’administration, qui est censée faire respecter le droit, qui se comporte ainsi », soupire May. Le ministère n’a, de fait, pas toujours appliqué strictement la loi. Les traducteurs qui œuvrent en son sein dans une cinquantaine de langues (et se tiennent à disposition des services, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7) ont ainsi longtemps été payés « au noir ». La chancellerie ne s’acquitte des cotisations sociales, les concernant, que depuis janvier 2016.
« C’est la raison pour laquelle je ne touche aucune retraite aujourd’hui alors que j’ai travaillé pour le ministère pendant plusieurs décennies », explique Mansa Singh, 63 ans, aujourd’hui SDF. « Même si l’administration dit qu’elle cotise désormais, mieux vaut ne pas tomber malade, car la couverture maladie est minime avec notre statut de collaborateur occasionnel du service public », confirme un autre interprète. Selon lui, nombreux sont pourtant ses collègues à contracter des infections dans l’exercice de leur profession.
Plusieurs d’entre eux nous ont indiqué avoir attrapé la tuberculose après avoir travaillé auprès de migrants venant de zones à risque. « Mais à chaque fois, le ministère s’est défaussé, arguant qu’on ne pouvait pas faire le lien entre nos interventions d’interprétariat et notre maladie », soupire Mansa.
La plupart des personnes interviewées, dans le cadre de cet article, confient être très inquiètes pour la suite. « Lorsque les impôts sur l’an dernier vont tomber, comment paierons-nous ? » s’alarme Antoine. « Le fisc attend nos versements en temps et en heure et ne tient pas compte des retards de paiements de l’administration », complète May.
* Prénoms modifiés à la demande des intéressées, « par crainte des représailles », soulignent-elles.
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