Dans Aiteo Eastern E & P Company Ltd contre Shell Western Supply and Trading Ltd & Ors [2024] EWHC 1993 (Comm) (01 août 2024), le Tribunal de Commerce a examiné en détail les principes énoncés dans Halliburton Co contre Chubb Bermuda Insurance Ltd [2020] UKSC 48 («Halliburton« ) sur la question de la partialité apparente d’un arbitre dans une contestation intentée en vertu de l’article 68 de la loi sur l’arbitrage de 1996 (la « Loi sur l’arbitrage« ).
Cet article examinera le contexte de l’affaire et les principes clés examinés et approuvés par le tribunal de commerce en ce qui concerne la partialité de l’arbitre et les exigences de divulgation. Alors que de nombreux pays cherchent à concurrencer l’Angleterre et le Pays de Galles pour devenir des centres d’arbitrage de premier plan, cet arrêt démontre la volonté de la Cour de soutenir l’arbitrage. La question des nominations répétées, notamment dans des domaines spécialisés, n’est pas prise en compte par les lignes directrices de l’IBA sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international. comme nécessairement révélateur d’une irrégularité, mais cette affaire montre que la divulgation de ces nominations est essentielle.
Arrière-plan
Une société nigériane, Aiteo Eastern E&P Company Ltd (« Aiteo »), a conclu deux contrats de financement relatifs à son acquisition d’une participation dans certains champs pétrolifères au Nigeria et installations associées. Le premier était avec Shell Western Supply & Trading Ltd (« Shell » et la « Facilité Offshore »), tandis que le second était avec un groupe de prêteurs (les « Prêteurs Onshore » et la « Facilité Onshore », ensemble les « Contrats »). . Les installations offshore et onshore prévoyaient que les litiges seraient réglés par arbitrage CCI ou, au choix exclusif des parties financières, par les tribunaux d’Angleterre ou du Nigeria, respectivement. Les contrats prévoyaient explicitement la consolidation des procédures.
Des différends sont survenus, entraînant le début de deux arbitrages CCI en décembre 2020, « l’arbitrage offshore » et « l’arbitrage onshore ». Les défis actuels concernent la nomination du Rt. L’honorable Dame Elizabeth Gloster DBE (« DEG ») en tant qu’arbitre dans l’arbitrage offshore.
DEG a été nommé par Shell dans le cadre de l’arbitrage offshore. Les prêteurs onshore ont également nommé DEG dans le cadre de l’arbitrage onshore et ont tous deux demandé la consolidation des références. Freshfields Bruckhaus Deringer LLP (« Freshfields ») a représenté les parties qui ont nommé DEG comme arbitre. Les parties demanderesses aux arbitrages sont désignées conjointement sous le nom de « Prêteurs ».
Suite à sa nomination, DEG a complété une déclaration d’arbitre ICC d’acceptation, de disponibilité, d’impartialité et d’indépendance (« Déclaration ICC ») pour les deux références, faisant certaines divulgations. Aiteo s’est opposé à la nomination de la DEG dans les deux références, au motif qu’il s’opposait également à la consolidation et qu’il serait inapproprié d’avoir le même arbitre dans les deux références. La CCI a décidé que la DEG pouvait être arbitre dans une seule affaire, mais pas dans les deux. Un tribunal distinct a été constitué pour chaque référence, la nomination d’un arbitre président dans l’arbitrage onshore étant suspendue, en attendant la demande de consolidation. Quatre sentences partielles ont été rendues dans les références, comme suit :
- le Prix de la juridiction offshore (15 mars 2022) ;
- la sentence de la juridiction offshore sur les dépens (22 juillet 2022) ;
- le Prix Consolidation (22 juillet 2022) ; et
- le Onshore Jurisdiction Award (25 août 2023).
Aiteo n’a pas réussi dans chaque cas et a déposé une requête en vertu de l’article 67 de la loi sur l’arbitrage pour contester à la fois la sentence de compétence offshore et la sentence de consolidation pour des raisons de compétence substantielle. Aucune des deux candidatures n’a abouti.
Divulgations de la DEG
DEG a révélé dans sa déclaration ICC qu’elle « avait été partie désignée dans deux autres arbitrages sans rapport au cours des deux dernières années par des clients représentés par Freshfields ».
Le 10 novembre 2023, DEG a révélé qu’elle avait récemment été chargée par Freshfields de fournir une expertise sur le droit anglais dans le cadre d’éventuelles procédures d’insolvabilité étrangères. Aiteo a demandé des informations complémentaires. DEG a répondu le 9 décembre 2023, en faisant de nouvelles informations.
Destitution de la DEG en tant qu’arbitre
Le 12 décembre 2023, Aiteo a contesté la nomination de DEG en tant qu’arbitre conformément à l’article 14(1) du Règlement de la CCI, au motif qu’il existait des doutes justifiables quant à l’indépendance et à l’impartialité de DEG, contrairement à l’article 11 du Règlement de la CCI. Règles.
La Cour de la CCI a pris la décision de retirer DEG en tant que co-arbitre, qui a été communiquée aux parties par courrier électronique le 18 janvier 2024. La décision a été prise sans motifs (car aucun n’a été demandé par les parties). Il n’a donc pas été possible de déterminer quel critère avait été appliqué.
Procédure devant le Tribunal de Commerce
Les requêtes en vertu de l’art. 68 de la loi sur l’arbitrage
Le 31 janvier 2024, Aiteo a déposé une contestation des quatre sentences partielles en vertu de l’art. 68 de la Loi sur l’arbitrage, accompagné d’une demande de prorogation de délai en vertu de l’article 80. Ces requêtes ont été entendues lors d’une seule audience « regroupée » devant le juge Jacobs.
Contestation d’une sentence – grave irrégularité
Aiteo a affirmé qu’il y avait eu une grave irrégularité, à savoir le parti pris apparent de la DEG, dans la mesure où la DEG n’avait pas divulgué et/ou n’avait pas divulgué en temps opportun plusieurs éléments, à savoir :
- DEG a donné des conseils d’expert en juin-juillet 2020 à un client de Freshfields, que DEG a divulgués à Freshfields et à ses clients, mais qu’elle a omis de divulguer dans sa déclaration ICC et à Aiteo.
- En juin 2021, dans le cadre d’un arbitrage sans rapport, Freshfields a remplacé le conseiller juridique qui représentait auparavant la partie qui a nommé DEG.
- DEG a fait une déclaration d’expert sur l’instruction de Freshfields dans une procédure de droit étranger qui s’est déroulée entre le 25 février 2022 et le 21 mars 2022 et n’a pas été divulguée.
- DEG a révélé le 29 avril 2022 qu’elle avait été nommée par la CCI en tant qu’arbitre président dans un arbitrage CCI sans rapport, dans lequel Freshfields agissait pour l’une des parties. Cette divulgation n’a pas été faite tardivement, mais Aiteo a soutenu qu’elle contribuait à l’image globale d’un lien professionnel entre DEG et Freshfields.
- DEG a été chargé par Freshfields de donner une expertise sur le droit anglais entre le 17 octobre 2023 et le 25 octobre 2023, qui n’a été divulguée que le 10 novembre 2023.
Il était constant que le critère pertinent pour déterminer la partialité apparente découlait de Halliburtonc’est-à-dire « si l’observateur impartial et informé, après avoir examiné les faits, considérerait qu’il existe une possibilité réelle que la DEG soit partiale ». Les principaux enjeux étaient [10]:
- L’observateur impartial et informé considérerait-il qu’il existe une possibilité réelle que la DEG soit partiale ?
- Si tel est le cas, Aiteo a-t-il établi que la grave irrégularité invoquée a causé ou causera une injustice substantielle à Aiteo ?
- Faut-il accorder une prolongation de délai ?
- Si Aiteo réussissait, quelle commande, le cas échéant, devrait-elle être passée ?
Observateur juste
Le juge Jacobs a conclu que l’observateur impartial et informé considérerait qu’il existait une possibilité réelle que la DEG soit partiale. Cette décision était basée sur les facteurs clés suivants :
- L’incapacité de la DEG à divulguer en temps opportun ses engagements professionnels pertinents avec Freshfields. La Cour a confirmé, en formulant cette conclusion, qu’il existait une obligation de le faire en vertu du droit anglais, comme c’était le cas dans l’affaire Halliburton [49];
- L’observateur examinerait le tableau cumulatif, et six ou sept nominations ou engagements sur une courte période seraient significatifs ;
- L’approche de la DEG en matière de divulgation était incohérente ; et
- La décision de la Cour de la CCI de retirer la DEG de son rôle d’arbitre était relativement inhabituelle et allait influencer le point de vue de l’observateur.
Injustice substantielle
Aiteo a fait valoir qu’une constatation d’un manque d’impartialité constituerait, en soi, une injustice substantielle. Le juge Jacobs n’était pas d’accord, préférant l’approche des prêteurs, selon laquelle «[e]Même si une injustice substantielle est intrinsèquement probable, ou serait normalement déduite sur la base de la nature de l’irrégularité, cette probabilité ou cette déduction est réfutable. » [202]. L’injustice substantielle doit être démontrée séparément de toute conclusion de partialité apparente. Sous cette branche, le juge Jacobs a conclu, en ce qui concerne chacune des trois sentences partielles de fond, comme suit :
- Sentence de juridiction offshore : cette sentence a été entièrement réexaminée devant le tribunal de commerce suite à la demande d’Aiteo en vertu de l’article 67, cette décision a été maintenue et n’a été affectée par aucun parti pris. La contestation de la sentence relative aux dépens de la juridiction offshore a donc également été rejetée ;
- Sentence de consolidation : une décision a été prise par chaque membre du tribunal examinant la question de manière indépendante et individuelle, il n’y a donc pas eu d’injustice substantielle ; et
- Récompense de compétence onshore : les arguments d’Aiteo étaient raisonnablement argumentés, même si les arguments des prêteurs étaient considérables, ils méritaient donc d’être examinés par un tribunal non affecté par la partialité.
Délai
En appliquant le «Kalmneft facteurs », la prolongation du délai a été accordée et l’approche d’Aiteo a été jugée raisonnable par la Cour.
Res Judicata
La décision de la Cour de la CCI de retirer DEG n’a pas créé de préclusion telle que les prêteurs n’aient pas pu contester l’argument selon lequel il y avait un parti pris apparent. Le juge Jacobs a estimé que la décision de la Cour de la CCI était administrative et procédurale et qu’elle n’était pas non plus nécessairement contraignante.
Remède
Le juge a renvoyé la sentence relative à la compétence onshore au Tribunal (nouvellement reconstitué) pour réexamen. Cela était approprié dans toutes les circonstances et conforme aux règles de la CPI.
Commentaire
Londres continue d’être une plaque tournante de premier plan en matière d’arbitrage, réputée pour son cadre juridique solide et ses arbitres expérimentés. Cependant, le paysage mondial évolue, d’autres juridictions devenant de plus en plus compétitives dans l’offre de services d’arbitrage. Même si les tribunaux d’Angleterre et du Pays de Galles s’abstiennent généralement d’intervenir dans les procédures d’arbitrage, ils disposent de pouvoirs de soutien pour garantir que le processus reste équitable et efficace. Une préoccupation importante pour les parties, en particulier celles qui ont une expérience limitée en arbitrage, est le risque de partialité de l’arbitre. Le pool d’arbitres spécialisés est relativement restreint et la nomination répétée des mêmes arbitres par certains cabinets peut paraître inhabituelle à ceux qui ne connaissent pas le système juridique anglais. Toutefois, cette pratique n’indique pas en soi un biais. Fondamentalement, la divulgation de toute circonstance pouvant soulever des questions sur l’impartialité d’un arbitre est essentielle pour maintenir l’intégrité et la confiance dans le processus d’arbitrage. Cette transparence contribue à atténuer les inquiétudes et à maintenir les normes élevées attendues en matière d’arbitrage international.