Richard de la tour AG a donné son avis jeudi dernier dans l’affaire C‑566/22 Inkreal alias Inkreal sr contre Dúha réalité sro.
La question est de savoir si le seul recours à l’élection de for internationale suffit à faire passer une affaire purement interne au niveau « international », donc à la portée du règlement Bruxelles I bis. Le procureur général a estimé que non. Je ne pense pas qu’il ait raison et je soupçonne que la CJUE ne le suivra pas.
FD, résidant en Slovaquie, en tant que cédant, et Dúha Reality sro, une société domiciliée en Slovaquie, en tant que cessionnaire, ont conclu deux contrats de prêt respectivement le 29 juin 2016 et le 11 mars 2017. Par le biais d’un contrat de cession volontaire en date du 8 décembre 2021, FD a cédé les créances résultant de ces contrats de prêt à Inkreal, une société domiciliée en Slovaquie. Dans chacun de ces accords, les parties ont convenu que « toutes ambiguïtés ou différends découlant de l’accord et en relation avec celui-ci seront d’abord résolus par des négociations visant à parvenir à une solution acceptable pour les deux parties. » Si les parties ne parviennent pas à régler un tel litige, celui-ci sera réglé par un tribunal de la République tchèque compétent en matière de fond et de territoire, conformément aux [Code of Civil Procedure]’tel que modifié’. Suite au non-paiement, Inkreal a intenté une action devant les tribunaux tchèques, en application de l’accord d’élection de for.
(31) à partir de maintenant, l’AG se range du côté de cette partie de l’érudition (la plupart des auteurs auxquels il fait référence sont écrits en français ou en allemand, quelques-uns seulement en anglais et il semble citer seulement Mankowski comme ayant des points de vue opposés ; je ne dis pas que les français ou Les études allemandes ne devraient pas être citées, loin s’en faut, elles devraient l’être beaucoup plus fréquemment dans toutes les langues possibles de l’UE ; pourtant, il existe davantage d’études sur la question (à la fois par des universitaires anglais et par d’autres écrivant en anglais) et une jurisprudence nationale qui soutient contre l’article 25 BIa qui dénonce un tel choix de for, alléguant l’absence d’élément « international ».
Il développe cinq raisons principales (voir l’Avis pour plus de détails) avec souvent une seule source pour chacune.
- (32). La simple volonté des parties dans une situation purement interne ne doit pas suffire : l’existence d’un élément international doit être établie selon des « critères objectifs ». Pour ma part, je ne comprends pas pourquoi l’autonomie des partis n’est pas un « critère objectif ».
- (33) et suiv. Bruxelles I bis ne peut avoir pour effet de supprimer toute distinction entre les règles de compétence nationales et internationales régies par le droit de l’Union. Selon l’AG, quatre arguments contraires, de nature textuelle ou téléologique, fondés sur l’A25 BIa, doivent être rejetés. Premièrement, le fait que les parties domiciliées en dehors de l’UE puissent faire un choix valable de loi pour un tribunal de l’UE n’a, selon lui, aucune valeur ; Deuxièmement, l’indépendance de la volonté des parties ne peut pas permettre aux parties de « remettre en cause la portée de cette réglementation, qui se limite aux situations internationales et non purement internes ». (un argument circulaire clair); Troisièmement, la nouvelle règle de lex causae de l’A25 concernant la validité matérielle d’une décision de justice ne peut pas sauver une décision de justice qui ne concerne pas initialement une situation « internationale » (encore une fois circulaire) ; Quatrièmement, le mouvement clair de Bruxelles I vers un soutien à la décision de justice ne justifier d’autoriser les parties à déroger aux règles nationales de compétence sans aucune limite ni facteur de rattachement.
- (38) L’AG cite la CJUE Owusu, Lindner et IRnova pour confirmer son point de vue selon lequel des « critères objectifs » sont nécessaires pour étayer un élément international (Owusu et IRnova) ou la nationalité étrangère du défendeur (Lindner).
- (40 ss) Rome I ne peut pas être utilisé comme référence, à la fois parce que les situations purement internes à Rome I restent soumises à des dispositions nationales impératives (voir bien sûr VinylsItalia) et parce que l’ADN de Rome I est l’autonomie des partis, ce que l’article 25 de Bruxelles Ia suggère comme étant pas. (S’il ne m’avait pas déjà perdu, l’AG m’aurait certainement perdu ici). L’AG fait également référence à la Convention Élection de for de La Haye de 2005 et aux considérants de la décision du Conseil 2014/887 (obligeant l’UE à adhérer à cette convention et faisant référence aux liens entre les deux et un ou deux points d’ancrage de La Haye à Bruxelles Ia ; mais loin du symétrie suggérée par l’AG), estimant que l’A1(2) de la Convention de La Haye doit d’une manière ou d’une autre être étendu à Bruxelles Ia : cet article se lit comme suit : « une affaire est internationale à moins que les parties ne résident dans le même État contractant et que les relations des parties et de tous les autres « Les éléments pertinents du litige, quelle que soit la localisation du tribunal choisi, ne se rattachent qu’à cet État. » L’extension de l’A1(2) de La Haye 2005 à Bruxelles Ia constitue, à mon avis, un énorme effort de construction statutaire.
- Enfin (43), l’AG fait quelque peu marche arrière et suggère que les facteurs testant un élément international « devraient être appréciés par le tribunal saisi au cas par cas, de manière flexible ou selon une conception large ».
Enfin, l’AG suggère (45 s.) que la CJUE devrait conseiller la juridiction de renvoi et la « pratique » en général sur la question mobile du conflit A25 (à savoir « l’élément international »). Quand faut-il apprécier le caractère international de la situation : lors de la conclusion de l’accord de compétence ou lorsque le tribunal désigné est saisi par les parties ? Il met ici l’accent sur la nature contractuelle de la détermination de la compétence (en contraste direct avec ses vues ci-dessus) et sur la sécurité juridique plutôt que sur la prévisibilité, et suggère que la nature internationale soit appréciée au stade où la clause d’élection de for est convenue, et non lorsque le tribunal est saisi. À mon avis, cela va à l’encontre de l’intention fondamentale de recherche du forum des articles 25 et 26 (comparution volontaire).
(49) l’AG fait curieusement encore marche arrière sur cette question en suggérant qu’« on pourrait admettre que, dans une situation interne susceptible de s’internationaliser, les parties [may] conviennent, lors de la conclusion de leur accord, de désigner une juridiction d’un État membre dans des termes suffisamment précis qui expriment leur intention et prévoient la compétence exclusive des juridictions nationales en cas de doute sur l’existence d’un critère exigeant un élément international. Plutôt que d’augmenter la sécurité juridique, cela risque de la bouleverser à mon humble avis.
Il est bien entendu peu probable que la CJUE se rallie à cette dernière partie de son avis.
En général, je pense qu’il aura une vision plus généreuse de l’autonomie des partis et un œil sur intérêts de l’Espace judiciaire européen (par le professeur Dickinson), peut-être aussi comme le suggère Matthew Hoyle, en faisant référence aux mécanismes correcteurs de Bruxelles Ia tant pour les catégories protégées que pour l’ordre public (article 45 BIa).
Geert.
Droit international privé de l’UE. 4e éd. 2024, paragraphes 2.22 et suivants.